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Frédérique raconte son quotidien après la naissance de ses jumeaux, dont l’un est né avec une atrésie de l’œsophage.

« Alors que je venais juste de rafler un poste de responsable régional à la concurrence masculine, j’apprenais aussi que j’allais avoir deux petits garçons d’un coup ! Décidemment, la vie me souriait : j’avais tout !

Ce bonheur a duré jusqu’à leur naissance et pratiquement à terme malgré la difficulté de gérer une telle grossesse. Et puis, on a su que quelque chose s’était passé… Encore sous morphine, assise en fauteuil roulant suite à une césarienne, une jeune sage- femme m’apprenait que le second jumeau était atteint d’une atrésie de l’œsophage et que je ne le verrai pas tout de suite : c’était sérieux, certes ; on devait l’opérer le soir même mais (à ses dires), ce ne serait « plus qu’un mauvais souvenir au bout d’une semaine » …

 

Il m’a fallu en faire et en refaire des démarches administratives pour expliquer « notre cas » car de bien longues années passées entre la maison, les soins et les hôpitaux sont venus à bout de ma carrière et également de mon insouciance ! Cependant, jamais de ma ténacité. Devrais-je dire de ma hargne? Oui, pour que mon fils s’en sorte malgré les erreurs de diagnostic (personne n’avait par exemple, pensé à mesurer le degré de sa trachéo malacie), si bien qu’on a dû, son père et moi, le réanimer par des moyens bien rudimentaires; complètement seuls à la maison…

Outre le traumatisme plusieurs fois répété, c’est la réaction du personnel hospitalier qui me fait encore maintenant le plus réagir; l’attitude des médecins qui n’ont pas pris la mesure de mes propos de « simple mère » restera le plus difficile à pardonner. Cela a bien entamé le moral de toute la famille créant une dysharmonie au sein de la cellule familiale et des proches. En effet, qui croire: une mère « angoissée » ou les médecins qui croisent l’enfant rapidement ?

A la suite de plusieurs accidents et de beaucoup de chance, notre quotidien était devenu l’anti- chambre d’un service de pédiatrie spécialisé en « complications de l’atrésie de l’oesophage » entre les hospitalisations et les « permissions à domicile »! Nous avons serré les dents lors du premier Noël de nos enfants et plus tard encore, de leur premier anniversaire à l’hôpital. Plusieurs mois se sont lentement égrenés entre l’odeur de mort et l’espoir de la Vie ; tous les quatre accrochés à l’Amour; la seule chose qui nous restait, et au peu de Vie qui passait dans un coin de regard de la part d’un personnel soignant attristé.

Nous sommes restés ainsi, en service de réanimation jusqu’au moment où nos deux fils devaient apprendre à marcher: nous avons apporté le « trotter » en réa…pour que l’étape cruciale d’acquisition de la marche soit respectée; on aura minimisé les dégâts. « On tenait le coup ».

Mais de plus en plus, l’enjeu vital était présent à chacun des repas et les infirmières prenaient peur ; il devenait difficile à réanimer. Quitte à entacher les relations avec l’unique hôpital proche de notre domicile, j’ai bataillé pour obtenir le transfert de mon enfant à Paris. Mon fils a, enfin pu, subir une intervention spécialement conçue pour son cas dans une clinique spécialisée. Il n’avait pas encore un an mais il remuait beaucoup : il a donc été plongé dans le coma artificiel afin de mettre toutes les chances de son côté: onze jours afin que sa trachée se consolide et tienne toute la vie. Tous les après- midi, durant des semaines, nous avons encore fait le trajet, son papa et moi et quelquefois avec son jumeau, afin d’aller le voir. Pour le toucher seulement durant vingt petites minutes; les seules qui nous étaient autorisées par jour. Je téléphonais aussi la nuit pour conserver un contact; pour lui dire quelques mots par le combiné téléphonique tenu à côté de son oreille par l’infirmière… Inutile de décrire toute l’organisation et l’énergie que nous avons dû déployer durant ces périodes de longues hospitalisations! Obligée d’être en demande par rapport à l’entourage pour faire garder le jumeau, je prenais sur moi: il fallait le confier à une personne chaleureuse pour tenter de compenser la séparation de son frère et du coup, nous gardions dissimulées certaines informations trop inquiétantes afin de protéger certains membres de la famille et les proches qui gardaient le jumeau « abandonné ». Comment procéder au mieux pour ne priver d’amour aucun des deux?

Car si l’un a supporté beaucoup de tests désagréables, douloureux… de nombreuses anesthésies générales, plusieurs interventions lourdes …: « bénéficiant » ainsi de la présence angoissée de ses parents, l’autre a attendu quelquefois, bien seul…que nous revenions vers lui…

Suite à l’intervention dite de Nissen effectuée par l’hôpital Necker vers l’âge de trois ans; (celle qui a permis de pallier à un reflux trop grave pour manger normalement et qui l’empêchait jusqu’à dormir à cause de quintes de toux spasmodiques); notre vie a commencé à pouvoir se transformer vers le meilleur. Mais je voulais « réparer » les mois perdus depuis sa naissance: je devais entièrement me consacrer à partir de ce moment à l‘introduction d’une alimentation variée pour aller progressivement et très patiemment vers « le normal ».

Je n’ai donc pas repris mon travail. Je passais des nuits debout pour surveiller sa respiration, j’ai souvent foncé aux urgences en pleine nuit et quand il le fallait ; hurlé qu’on aille chercher un médecin et le matériel…

Au fur et à mesure qu’il grandissait, son état s’améliorait et nous avons enfin pu songer à la réparation autant physique que morale pour les enfants. Pour nous parents, nous avions encore tant de labeur avant d’y songer… Alors que rien ne le présageait au vu des difficultés bien plus majeures que nous avions traversées auparavant, la dernière intervention pour réparer esthétiquement la paroi thoracique a failli très mal tourner .C’est là que j’ai entamé une dépression.

Malgré ma disponibilité professionnelle, c’est son père qui a pris le relais : il est resté enfermé trois semaines avec son fils dans une chambre car cinq tuyaux étaient cousus sur la peau de mon enfant pour récolter le pus de l’infection d’une médiastinite, limitant ses déplacement. Notre fils s’en est sorti avec une énorme cicatrice sur le torse mais bien vivant.

Évidemment chez nous, tout le monde est allé voir un psy ! C’est-ce qu’on appelle la « double peine »car aux horaires déjà chargés des kinésithérapies respiratoires (jusqu’à plusieurs fois par jour durant certaines périodes) se sont donc ajoutés les rendez-vous chez le psychologue et… chacun le sien, bien sûr! Comment retravailler dans ces conditions? C’était impossible sans aménagement et les employeurs ne comprenaient pas ma demande estimant que si je proposais mes compétences, je devais être entièrement disponible.

Je me suis donc concentrée sur l’évolution de mon enfant né avec cette atrésie de l’œsophage pendant le temps nécessaire: il a fallu dix années pour arriver à stabiliser un fonctionnent adapté en famille et en société. Ces expériences n’ont fait qu’exacerber un militantisme déjà bien présent chez moi à propos de certaines choses injustes concernant des problématiques sociétales. Par exemple, je suis révulsée par le peu de cas que fait notre société de la condition de la femme qui a un enfant malade chronique ou handicapé ! J’écris de temps en temps à ce sujet.

Je me suis impliquée au sein de l’Association Française de l’Atrésie de l’Oesophage pour soutenir les jeunes parents confrontés à l’AO qui ont des difficultés …et aussi tous les jours en tant que psychologue, je fais passer le message suivant : le temps consacré à temps plein comme aidant parental doit être reconnu !

Et j’espère que les mentalités vont évoluer ! »

Frédérique Messager – Contact AFAO Région Champagne -Ardennes

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